Manzanas de tierra I, 2018
pastel à l’huile sur papier
100 X 130 cm

LYON ART PAPER/ LES ARTISTES SÉLECTIONNÉS - 2018

GUILLET, Manon

guillet.manon chez gmail.com
manonguillet.wordpress.com
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Née à Grenoble en 1992, puis diplômée de l’École Supérieure d’Art et de Design de cette même ville en 2013. Je pars ensuite vivre en Espagne afin de poursuivre des études parallèles en Histoire de l’Art. À Valencia je trouve un atelier (La Persiana), ou plutôt un ancrage, depuis lequel je travaille aujourd’hui. Partant d’une présence très forte de la ligne, ma pratique artistique rompt peu à peu avec les limites du dessin pour se tourner vers la peinture. Je me situe à mi-chemin entre ces deux techniques, travaillées principalement sur papier. Je dessine et je peins pour ne pas entendre mais écouter ; pour ne pas voir mais regarder. Le recours au geste est pour moi fondamental, car il rend tangible tout ce foisonnement, les gens dans la rue, la couleur des cernes, la quotidienneté cruelle et merveilleuse. L’humain et sa condition d’humain.

Le dessin et la peinture me permettent de tenter une traduction de ma perception du monde extérieur et de la morbidité d’une époque, de me frotter à l’ordinaire, au quotidien et à une certaine trivialité du réel. Dépeindre des états existentiels, à l’intérieur desquels le regardeur peut se projeter. La figure, la structure linéaire des choses, des corps et des visages, sont pour moi importantes parce qu’elles rendent l’image possible, comme cernée, et me permettent alors d’intervenir. Peindre c’est un arrêt, une pause sur ce flux impétueux, étourdissant, d’images. La figuration est un moyen d’analyse mais aussi de subversion du réel, une métamorphose. Une sublimation. Comme un pont vers celui qui regarde, elle me permet de créer quelque chose de beau et d’intense, voire de dérangeant. Une expérience intérieure fragile, vitale.

La photographie est une source d’inspiration inépuisable qui me fascine, porteuse d’une histoire, d’un récit subjectif, d’un imaginaire. Et les sources photographiques sont multiples. La photographie trouvée, rencontre à la fois intime mais pourtant étrangère et anonyme, me permet de dire des choses, des choses dont je ne parlerais peut-être pas sans elle. Avec les portraits volés que je prends moi-même dans la rue ou ailleurs, je capture la vision introspective que j’ai de visages comme plongés en eux-même, les expressions fugaces et insondables qui soudain m’émeuvent. Puis sur le mur de l’atelier commence le détachement progressif avec l’instant figé, pour à un certain point, ne plus y retourner. Parfois, on ne sait même plus de quoi il s’agit exactement et le tableau laisse alors libre cours à une autre rencontre. C’est en Espagne que j’ai commencé à m’intéresser au portrait. Le caractère propre et cru des visages, leur transparence, sans masques, c’est comme de l’argile sous les doigts.

Ce travail du portrait, je l’expose pour la première fois au salon Lyon Art Paper 2017, avec la série « Asile » : des visages oubliés, anonymes… Mais cette année, c’est différent, les photographies sortent cette fois-ci des boîtes à chaussures familiales (Bévenais, Isère). Le champ s’élargit : totalité du corps, suggestion de l’espace… des tableaux issus d’une mythologie plus personnelle, bien que le même détachement s’opère, et qu’il ne soit plus vraiment question de moi. Je ne suis plus l’enfant représentée, tout comme le petit fils de mes anciens voisins sur le tableau de groupe ressemble de plus en plus à ce gamin de Benimaclet (Valencia), Manuel, qui chargé de veiller sur son petit frère Ismael, tourne continuellement autour de mon atelier à bicyclette. Cette nouvelle série s’intitule « Manzanas de tierra », ou « Pommes de terre » en français. Au cours de cette traduction (dans l’autre sens) le fruit rouge et brillant du conte se retrouve enfouie dans la terre, c’est fabuleux. La prise de conscience est immédiate, l’image absurde est convoquée instantanément dans l’imaginaire. Une métamorphose, une sublimation, du champ de pommes de terre au rêve. On ne peut pas tout traduire, il y a des choses, des sensations, liées au langage, qui ne sont pas transposables. Et tant mieux. Il y a quelque chose d’exquis dans la limite, puis le transit, le voyage entre deux langues… d’où naissent des images d’une grande poésie. Le dessin ou la peinture, peu importe, surgissent de ce besoin fondamental d’exprimer autrement, silencieusement, ce que les mots ne disent pas. Un besoin de rupture avec le langage oral. Pour les mêmes raisons, l’apprentissage de la langue des signes me nourrit, me passionne énormément. Des mouvements analogues animent mon geste de peintre. Adopter la posture du peintre ou celle du poète, ou encore celle du sourd par le signe, c’est trouver dans l’image une emprise enfin possible sur cette insondable nécessité intérieure. Manon Guillet, 2018